Des objets… une histoire

Quand Genève était une garnison française

Philippe Coet – Décembre 2024

Genève est occupée militairement par les Français en avril 1798, puis rapidement annexée par la République. Elle devient ensuite chef-lieu du nouveau département du Léman et est, à ce titre, dotée de tous les organes administratifs, judiciaires et militaires propres à une ville de préfecture. Occupation et annexion perdurent jusqu’au départ des fonctionnaires et militaires français fin décembre 1813, juste avant l’arrivée des troupes autrichiennes.

Comme de nombreuses villes de la République puis de l’Empire, Genève devient aussi ville de garnison. Plusieurs unités s’y succèdent qu’évoque Walter Zurbuchen dans son Genève sous les Aigles (1). Celle qui nous intéresse est le « 8e léger ».

Créé en 1803, ce régiment est issu de la 8e demi-brigade d’infanterie légère, de 2e formation en 1796. C’est à la suite du décret impérial du 18 février 1808, qui porte les régiments d’infanterie de ligne et légère à 5 bataillons dont un de dépôt, que cette unité arrive à Genève. Elle y installe en effet son dépôt, un bataillon à 4 compagnies, dont le décret précise : « Le major sera toujours attaché à ce bataillon : un capitaine désigné par le Ministre, sur la présentation de trois candidats faite par le colonel, commandera le bataillon de dépôt sous les ordres du major ; il commandera en même temps l’une des quatre compagnies » (article 3).

Précisons ici que le capitaine d’habillement et le quartier-maître fourrier font toujours partie de ce bataillon. Le premier exerce également le commandement d’une compagnie du dépôt (article 14 du décret).(2)

Pour rappel, l’infanterie légère, qui se veut troupe d’élite, est prévue pour combattre en unités constituées à la façon des compagnies légères intégrées dans les formations de la ligne : en tirailleurs, en ordre dispersé, à la marge ou dans les terrains accidentés et difficiles. Mais dans la pratique, l’infanterie légère est souvent engagée comme la ligne…

Les 4 bataillons de guerre du 8e léger participent à de nombreuses campagnes des guerres napoléoniennes, souvent séparément ou par deux. Ses recrues, selon les registres de l’Hôpital de Genève et ceux de l’état civil étudiés par W. Zurbuchen, proviennent majoritairement des départements du Massif central : « Cela confirme l’impression déjà ressentie que l’incorporation d’un certain nombre de Genevois à ce régiment n’avait pas été systématique, mais probablement volontaire et due à la présence, à Genève, du dépôt de ce corps ».(3)

Après avoir quitté la ville fin 1813, le dépôt du 8e rejoint l’armée de Savoie et combat les Autrichiens dans la région : Rumilly (janvier 1814), Aix, Annecy, pont de la Caille, Saint-Julien et Archamps (en février-mars). En tant que régiment, le 8e léger participe encore à la campagne de Belgique en juin 1815, à l’issue de laquelle il est licencié. (4)

Le document présenté ci-dessous est daté du 14 septembre 1808 à Genève. Le « capitaine chargé de l’habillement » s’adresse à « Monsieur Jos Aynard et fils manufacturier à Lyon », pour savoir si cette maison peut lui fournir « sur le champ » 350 mètres de cadis bleu (couleur de l’infanterie légère) et pour demander l’envoi immédiat de 100 bretelles de fusil et la préparation de 300 autres « pour la fin du mois ».

A noter que le nom de l’expéditeur est raturé sur l’en-tête imprimé de la lettre. Il s’agit probablement du capitaine « Hinnekens ».

Le cadis était une solide étoffe de laine, fabriquée généralement dans la région du Gévaudan, qui servait notamment à la confection des uniformes des soldats. Quant à la maison Aynard, il s’agit d’une fabrique de draps militaires, fondée au milieu du siècle précédent par Claude Joseph et reprise ensuite par ses trois fils. Cette entreprise deviendra plus tard… une banque. (5)

Pour la petite histoire et pour conclure : au début des années 2000, Delprado éditeurs et Osprey Publishing s’associent pour produire la série Soldats des guerres napoléoniennes. Le fascicule n° 35 est consacré à l’infanterie légère et la figurine qui l’accompagne représente un sergent porte-fanion du 8e léger en 1809. (6)

Notes

(1) Walter ZURBUCHEN, « Genevois sous les Aigles. Quelques aperçus des destinées militaires de nos concitoyens d’il y a cent cinquante ans ». Tiré à part du Bulletin de la Société militaire de Genève, juin 1964.
(2) Décret impérial du 18 février 1808, « Composition de l’infanterie de ligne et légère ». Projet Austerlitz : www.austerlitz.org [consulté le 26 juin 2024].
(3) Cf. W. Zurbuchen, p. 27-29.
(4) Historiques des corps de troupe de l’Armée française (1569-1900) ; Paris, 1900, p. 190-191. En ligne sur : www.gallica.bnf.fr [consulté le 26 juin 2024].
(5) « Cadis » et « Maison Aynard et fils », articles Wikipedia [consultés le 28 juin 2024].
(6) Figure B2, page 15 du fascicule. Le fanion, fixé au fusil, était un « drapeau de jalonnement de compagnie ».

Outre les sources citées dans le texte et les notes, nous avons utilisé :

L. ROUSSELOT, L’Armée Française. Ses uniformes. Son armement. Son équipement. Planche n° 76, « Infanterie légère 1812-1815 » [document daté de 1980].
Dernière précision : W. Zurbuchen a utilisé, pour les quelques pages consacrées au 8e léger, l’ouvrage du Lieutenant (Georges Edmond) PITOT, Historique du 83e régiment d’infanterie 1684-1891 ; Toulouse, Privat, 1891. Ouvrage que nous n’avons malheureusement pas pu consulter.

Figurine Delprado/Osprey